De l’amour et autres démons

Comme d’habitude, dès les premières lignes, le lecteur est emporté dans un tourbillon vaporeux, à mi-chemin entre le rêve et le réveil. De sa prose poétique, réaliste et fantastique à la fois, García Márquez nous entraîne dans une histoire d’amour prenante, sans que l’on comprenne réellement comment l’auteur parvient à ce tour de force. En effet, l’histoire est simple, réaliste, décrivant la triste vie de gens qui n’ont plus rien à quoi se raccrocher. Et pourtant, malgré la misère et la tristesse environnantes, il y a toujours la beauté qui ressort, la beauté des mots qui transportent, qui illuminent et transforment par leur seule force d’évocation. García Márquez brode peu à peu son histoire, plantant le décor, les personnages, en arrivant enfin à la rencontre culminante de son récit. Une histoire d’amour passionnée, passionnante, mais vouée à l’échec, sur fond d’Amérique du Sud du XVIIIème siècle. Une histoire d’amour portée par les mots, terrible,e ntraînante et envoûtante. García Marquez parvient, comme toujours, à rendre avec légèreté et poésie des histoires tristes et graves. Même la mort, sous sa plume, se pare d’un voile de beauté.
Comme le titre le suggère, De l’amour et autres démons, l’amour-passion n’est sans doute qu’un démon, déchirant les vies de ses griffes acérées, lorsque ni l’époque ni les êtres ne sont faits pour comprendre la différence et que le poids du quotidien les entrave.

A propos de Tentation

Après la fascination, la tentation. Eh bien, je ne l’ai pas du tout été, j’ai même dû résister à celle de refermer le livre. Autant le premier roman m’a amusée, me faisant, entre les longueurs, passer quelques bons moments, autant le second m’a profondément ennuyée.
L’héroïne, toujours aussi bécasse, décrit durant des pages et des pages ce que tous, un jour ou l’autre, nous avons expérimenté : la douleur d’une rupture. Sauf que Bella, elle, a l’air de se complaire dans sa mélancolie. Ses lignes et ses lignes décrivant son vide intérieur sont anesthésiantes. Au bout d’une page, on a compris, Bella souffre, Bella a perdu le goût de vivre, Bella erre dans les limbes. Pas la peine de nous en tartiner cent cinquante pages. Et lorsque Bella décide de réagir, ce n’est même pas pour elle, c’est juste pour entendre la voix « hallucinée » de son cher et tendre… En gros, Bella n’a pas d’autre existence que celui qu’elle a aimé. Et je trouve ce roman déplorable en ceci: quelle image nous renvoie une presque femme incapable de survivre à une rupture? Ce n’est pas un exemple que j’aimerais donner à ma fille. Toute rupture a ses séquelles, bien entendu. Toute rupture brise. Mais la vie est faite pour que nous nous redressions. Si un homme vous quitte, mérite-t-il vraiment votre amour? La réponse est non, car celui qui le mérite est celui qui reste à vos côtés malgré vents et tempêtes. Bien entendu, l’adolescence est passionnée, le seul fait qui tendrait à sauver le roman. Pour justifier le comportement de son héroïne, l’auteur fait souvent référence à Roméo et Juliette. Seulement, à l’âge de Bella, on attend un peu plus de répondant et de réaction qu’à celui de Juliette. A un âge tendre, la mort semble peut-être la seule issue possible. La sagesse est censée venir avec les années et remettre les choses en perspective. La vie vaut peut-être le coup d’être vécue et les ruptures, les trahisons, les mensonges, nous renforcent. Ce roman n’est pas une histoire d’amour à la Roméo et Juliette, bien que l’auteur ait sans doute tenté de la rédiger en ce sens. Au bout de deux cents pages de redites, je m’ennuie profondément et j’ai envie de donner deux bonnes claques à Bella. J’ai envie de la secouer et de lui dire: « il y a une vie, tu sais! ». Mais Bella ne réagit plus. Bella n’a plus envie de vivre. Pourtant elle vit. Elle subit l’existence comme je subis son récit.
Comme je suis persistante, je m’entête cependant quelque peu et poursuis ma lecture.
Bella se trouve un camarade plus que sympathique mais elle ne parvient pas à oublier Edward. Et là, second grand énervement : je sais bien qu’il est bon que le lecteur se sente plus intelligent que le héros du livre, c’est une ficelle bien connue des auteurs. Mais que Bella passe cent pages à deviner une chose plus qu’évidente pour tous, c’est trop. Qu’elle se questionne durant deux pages, voire dix, pourquoi pas, le lecteur prenant ainsi le pas sur elle et se sentant brillamment intelligent; mais durant près de cent pages, si ce n’est plus… ce n’est plus de l’inattention de la part de l’héroïne, c’est de la bêtise crasse. Et s’il y a une chose qui m’agace, c’est bien la bêtise crasse.
C’est aussi en ceci que ce roman m’a exaspérée : ce à quoi l’on peut s’attendre se réalise. Nulle surprise, nul éclat, tout se déroule comme on pouvait le penser avant même d’ouvrir le livre. Comme je le disais concernant Fascination, il en est de même dans Tentation, tout est cousu de fil blanc. Même ce qui aurait pu constituer une ou deux surprises passe inaperçu, tant l’ennui s’est installé. Et la fin, évidemment, est celle que l’on subodorait : Edward n’a pas vraiment abandonné Bella, non, et d’ailleurs il revient vers elle à la fin et lui propose une vie entière à ses côtés. Il cèdera même à certaines de ses exigences, du moins lui en fait-il la promesse. La boucle se boucle: nous sommes revenus à l’attendu. Au prévisible.
Pourquoi, me dira-t-on, me suis-je entêtée? J’ai envie de voir comment l’auteur va terminer sa saga. Comment l’auteur va agencer sa suite, même si je ne lis que ce que j’ai déjà supposé. J’ai aussi très envie de constater que j’avais raison.
Il ne faut pas que j’oublie, ceci dit, qu’il s’agit d’un roman pour adolescents. Soit. A choisir, je préfèrerais qu’un ado de ma connaissance lise Uglies plutôt que Fascination and co. Malgré le côté « récit pour adolescents », la trilogie de Scott Westerfeld est plus amusante et plus intelligente que cette réécriture manquée de Roméo et Juliette.

Les Noces Rebelles, société et pression

Jusqu’où la pression de la société peut-elle nous entraîner?
Telle est la question, entre autres, que posent les Noces Rebelles. Le titre anglais, Revolutionary Road, parle plus que sa traduction. La route de la révolution… n’est-ce pas cette même révolution qui oppose l’être à la société? Les désirs personnels à la pression du tout?
Les Noces Rebelles prennent place dans les années 1950. Tout est conventionnel et les hommes se plient à cette convention : il faut se lever tous les matins pour un boulot que l’on trouve idiot et sans perspective, il faut avoir une maison propre et accueillir les voisins lorsque ceux-ci décident de vous rendre visite, il faut coller, en un mot, à l’étiquette du quartier. Mais que fait-on lorsque le bonheur ne dépend plus des biens matériels? Que fait-on lorsque nos aspirations nous portent ailleurs, nous mènent à voir autrement, et donc à désirer autre chose?
C’est-ce qui arrive à April Wheeler, l’héroïne du film. Franck, son époux, n’est pas beaucoup plus heureux qu’elle. Il se plie à ce que la société attend de lui. Il étouffe sous le quotidien tandis que ses rêves s’étiolent. C’est April qui les ravive, qui fait renaître en lui l’idée d’une autre vie – pas spécialement plus facile, non, mais moins vide de sens. Une vie où quelques sacrifices mènent à la satisfaction totale – au bonheur.
D’ailleurs, lorsqu’ils rencontrent le fils soi-disant « dérangé » de l’une de leurs voisines, c’est lui qui semble le plus à même de les comprendre. Leur entourage, leurs voisins, leur pseudo amis, ne comprennent pas que l’on puisse rêver d’autre chose. Ils ne comprennent pas, en définitive, que l’on puisse rêver et penser autrement que cette manière formatée de penser que leur impose la société. Sont-ils plus heureux, ces voisins? Non, ils ne le sont pas. Mais peut-être ne savent-ils pas qu’une autre vie existe. Leur réaction est sans appel : lorsque Franck et April leur annoncent leur départ pour Paris, autrement dit pour un renouveau, ils ont peine à sourire. Ils demeurent sur leur réserve, considérant ce départ comme une folie. Projet ô combien immature à leurs yeux! O combien irréaliste! Comme si devenir adulte signifiait renoncer à son droit de vivre comme on le souhaite.
La société s’impose à eux : il faut être heureux au milieu de son petit pavillon de banlieue. Le quotidien s’impose lui aussi. A-t-on encore le droit d’avoir le choix?
Car c’est à cela que le film se résume: a-t-on le droit de choisir? Et la réponse est oui, mais encore faut-il en avoir le courage et la force. Encore faut-il avoir la force de faire face au monde. Et, lorsque l’on est marié, il faut avoir l’appui de son conjoint.
Lorsqu’une opportunité alléchante se présente à Franck, il renonce. Le matériel a repris le pas sur les désirs. Si Franck peut se contenter de ce qu’il a, ce n’est pas le cas d’April : elle est prisonnière d’une vie à laquelle elle n’a jamais aspiré. Elle voudrait s’évader mais son dernier espoir de le faire s’envole avec le nouveau poste de Franck et ce troisième enfant qui se développe en son sein. La réalité la broie. Elle ne peut concevoir de vivre cette même vie sempiternellement. Elle décide de prendre la seule porte de sortie qui lui reste encore. La banalité du quotidien a raison de leur couple.
En d’autres temps, si sa force avait été autre, peut-être aurait-elle pu choisir une autre voie. Mais les choix ne sont pas forcément ceux que l’on croit et pour les faire, il faut parfois plus de force qu’un être n’en possède. C’est-ce que suggère John, le « fou » : peut-être en définitive n’a-t-on que ce que l’on mérite, si l’on n’a pas la force de se rebeller. De se « révolutionner », en somme.
Les Noces Rebelles soulignent un autre fait d’importance : on ne vit pas sa vie seul. On la vit avec le regard des voisins, des relations, des connaissances. La pression de l’entourage prend alors tout son sens. C’est ainsi que l’on finit par vivre une autre vie que la sienne. Les voisins, loin de se réjouir du départ des époux Wheeler, le critique, soulignant son improbabilité et sa folie. Les gens ne sont jamais satisfaits de vos réussites ni de vos bonheurs. Plutôt que de soutenir et d’encourager les Wheeler, ils se montrent sceptiques, peu enclins à les supporter. Comme si le bonheur des autres était trop difficile à accepter, à voir, à encaisser. Car, après tout, cette possible fuite ne leur renvoie-t-elle pas à la figure ce qu’est leur propre existence? Et la blessure ne sera-t-elle pas irréparable si les Wheeler réalisent vraiment leur projet?
C’est là que le « fou » intervient encore: c’est le seul à comprendre leur démarche et à leur dire qu’ils ont raison de tenter leur rêve, comme s’il était le seul à accepter que le bonheur soit possible pour les autres à défaut de l’être pour lui. Faut-il être différent pour envisager d’autres angles de vue? Faut-il être différent pour connaître la valeur de l’existence? Peut-être faut-il en effet être mis au ban de la société pour se moquer enfin de ce que pensent les autres.
La société a raison de ses membres : elle parvient toujours à les remettre dans le cadre qui fait d’elle ce qu’elle est. April en est la victime.

Fascination et moi

Ces derniers temps, je n’ai pas arrêté d’entendre parler de « Fascination », de « Twilight » et de la merveilleuse histoire de ces vampires. Personnellement, j’ai du mal avec les vampires. Je les trouve par trop conventionnels. Un vampire conventionnel? Eh oui! Il faut toujours qu’il y ait un gentil vampire, qui a fait beaucoup de mal à un point de son passé mais qui est parvenu à prendre conscience de sa vraie nature et à lutter contre ses instincts. Soit, c’est un merveilleux message pour l’humanité en général, luttons contre nos mauvais penchants. Mais n’a-t-on pas déjà vu ceci dans de trop nombreux romans? Ne serait-ce que dans ceux d’Anne Rice (de rares histoires de vampires que j‘ai réussi à apprécier)?
Etant cependant de nature curieuse, j’ai finalement cédé à la tentation (oui, il est parfois trop difficile de se résister). J’ai donc lu Fascination, le premier tome.
Avant toute chose, il faut savoir que c’est un roman pour adolescents. L’écriture, le style s’en ressentent. Ce n’est évidemment pas de la grande littérature. Mais ça se laisse lire. Lorsque l’on parvient à fermer les yeux sur les poncifs,  il est même possible de prendre un certain plaisir à la rencontre.
Comme je n’attendais rien de ce roman, je n’ai été ni sublimée ni déçue, juste légèrement irritée par le début un peu trop convenu. Pourquoi une fille insignifiante a subitement autant de succès, si ce n’est parce qu’elle représente l’ailleurs, donc l’étrange, donc devient attirante? Son seul succès réside sur cela : elle est étrangère au groupe donc considérée comme un objet de curiosité. Et, cousu de fil blanc, elle se fait aussitôt des amis, alors que nous savons tous combien cela est difficile. Aurait-elle débarqué dans une grande ville qu’elle serait tout à fait passée inaperçue.
Ensuite, je dois dire qu’elle est aussi très conventionnelle : c’est une parfaite petite femme au foyer alors qu’elle n’a que dix-sept ans, ce qui m’agace un peu. Comme si l’on trouvait à tous les coins de rue des adolescentes de cet âge qui font la cuisine et le ménage puis passent à leurs devoirs. Second fait également ô combien agaçant, elle représente tout ce que l’on peut détester: elle est tellement maladroite qu’elle devient un danger public, sans jamais ressentir une quelconque envie de faire attention à ce qu’elle fait. Ce n’est pas détestable d’être maladroite, au contraire; mais c’est la manière dont l’auteur traite ce fait qui est énervante. Pourquoi faire de son lymphatisme une qualité? Pourquoi essayer de rendre ce fait attractif? L’héroïne ne semble plus gênée par ce défaut, elle semble même le trouver agréable, en ce sens qu’elle l’accepte et qu’elle ne fait aucun effort pour le corriger. Et c’est justement pour cela qu’elle a autant de succès avec les garçons: ils la perçoivent comme une petite chose fragile qu’il faut protéger. C’est d’ailleurs le rôle que s’attribue notre cher Edward. L’aurait-elle autant attiré si elle avait été plus dégourdie? Je trouve juste cela regrettable de montrer en exemple aux demoiselles une fille qui n’est pas capable de se débrouiller par elle-même.
C’est justement le point que je critique dans ce livre, le fait que cette fille soit exactement ce que l’on peut en attendre, dans le sens où sa maladresse répond au désir profond de l’homme d’être le défenseur, le protecteur. En gros, un discours que nous n’avons que trop entendu: sois femme et tais-toi. Je sais que j’exagère un peu en disant cela. Mais je trouve qu’elle se laisse trop mener par les événements, par les autres, par tout ce qui l’entoure. Elle a de la personnalité, mais… quand je la vois, j’ai envie de dire: « de la personnalité, que diable! ».
Une fois la longueur du début dépassée, on prend plaisir à la rencontre de nos deux amis, à cette fascination qu’ils exercent l’un sur l’autre, et au niveau des sentiments, de l’attirance, je dois reconnaître que c’est plutôt bien rendu et assez entraînant.
Ensuite… on retombe dans le déjà-vu. Deux bandes de vampires, de méchants vampires/de gentils vampires, et la pauvre petite à protéger, à arracher des mains des mauvais. Avec cet espèce d’happy end prévisible dès le départ. Après tout, à quoi pensais-je? C’est normal qu’un tel livre suive les poncifs de ce genre. Je ne dis pas que c’est mal, non, je dis juste que c’est un peu dommage en ce sens qu’il n’y a pas d’originalité, que cela a déjà été fait avant, que les héros eux-mêmes ne sont pas différents de ce que l’on a déjà pu voir/lire/entendre. Je comprends tout a fait que ce tome ait pu attirer, fasciner, mais cela ne mérite pas, à mon humble avis, tout le battage médiatique qu’il y a eu autour. Disons que si l’on a un petit moment à ne rien faire, on peut le parcourir pour se détendre.
Il faut maintenant que je lise les autres tomes.