The reader : société et responsabilités

The reader est un film magnifique, à plusieurs degrés de lecture. Le spectateur, à travers les personnages, est amené à s’interroger non seulement sur lui-même, sur ses propres perceptions et sa morale, mais aussi sur la société et ses écueils. En effet, l’être, bien qu’individuel, ne peut se faire lui-même, il est avant tout le produit de sa société, couplé à son expérience personnelle.
La question que pose The Reader est celle de la responsabilité, dans tous les sens du terme. De la responsabilité de la société envers ses membres et de la responsabilité d’une personne en tant qu’être humain.
L’histoire commence par une histoire d’amour, vers la fin des années 1950, qui se termine brusquement et sans explication. Quelques années plus tard, alors étudiant en droit, Michaël, le héros, se rend à un procès contre d’anciennes SS et découvre, atterré, le visage de la femme qu’il a aimée parmi ceux des accusées.
Ce procès nous montre d’abord que la justice n’est pas juste, qu’elle est juste humaine et que dès que le facteur humain entre en jeu, il y a manipulation, mensonge, et erreur. En effet, personne ne connaît le secret de Hanna, l’ancien amour de Michaël : Hanna est analphabète. Si ce fait avait été connu, le procès se serait déroulé autrement. Mais les jurés ne cherchent guère plus loin que ce qu’ils voient. Hanna dérange, parce qu’elle est elle-même, parce qu’elle dit la vérité et ne se soumet pas au jeu des apparences. Quoi qu’elle ressente, elle ne le montre pas et ne se cache pas. Pour elle, il était logique, à l’époque, d’agir comme elle l’avait fait et elle ne le nie pas. Tandis que ses co-accusées jouent sur tous les tableaux. En définitive, la personne la plus morale des accusées est celle qui est condamnée le plus durement par le système. Parce que ses actes ne sont pas hypocrites mais manquent du vernis que les juges attendent d’une condamnée pour de tels crimes.
Le procès pose également ce problème : comme le dit l’un des maîtres de Michaël, la société n’est pas fondée sur la morale, mais sur la loi. La loi telle que l’établissent les hommes prévaut. Hanna servira d’exemple. Elle est condamnée, certainement parce que tous, quelque part, se sentent coupables, et qu’à travers elle on punit cette société qui n’a pas su réagir et se rebeller pour défendre le « bien ».
Au niveau sociétaire, ce film est une véritable dénonciation. En effet, il est facile de retrouver quelques gardiennes et de les faire passer en jugement. Mais ces gens qui jugent, où étaient-ils à la même époque ? Que faisaient-ils ? N’est-il pas absurdement simple de montrer du doigt quelques personnes sans remettre en cause son pays, ses parents, son Etat ? Hanna n’est-elle pas elle-même une victime, quelque part ? Ne  sert-elle pas qu’à donner bonne conscience à cette société revenue dans le droit chemin? Si humainement ce que Hanna a fait est inqualifiable et immoral, The Reader nous montre que les considérations des sociétés dépendent du contexte. La seule considération qui ne change pas est la nôtre, car l’être humain sait normalement au fond de lui ce qui est vraiment bien ou mal quant au respect de la vie. Il est intéressant en soi de voir comment les sociétés considèrent la morale. Il ne s’agit donc ici ni de bien ni de mal mais de conformité aux règles.
A partir du procès, on s’interroge non seulement sur le bien fondé de la justice mais aussi sur les manquements de la société. Si la société avait pris en charge l’éducation de Hanna, comme l’on peut l’attendre d’une société civilisée, celle-ci aurait eu un destin différent.
Bien entendu les actes qu’elle a commis sont injustifiables. Hanna a fondamentalement toujours eu le choix. C’est là que la responsabilité personnelle entre en jeu. Jusque là, Hanna était victime des manquements de la société : elle ne savait pas lire, la société participant à son état ; mais en choisissant d’envoyer des êtres humains à la mort, Hanna a engagé son libre arbitre.
La responsabilité de Michaël entre également en jeu. Ce n’est pas parce qu’il préfère respecter le désir de Hanna de ne pas révéler son défaut qu’il se tait, mais bien parce qu’il est lâche et tourne les talons au moment où il aurait pu l’aider. De ce fait le jugement rendu est plus lourd que ce qu’il aurait dû être.
C’est en prison que Hanna apprend à lire et à écrire, grâce au héros qui lui envoie des cassettes audio de classiques qu’il lit. En apprenant à lire, Hanna ressent directement tout ce qu’elle ressentait indirectement lorsque des gens lui faisaient la lecture. Elle est en contact avec sa sensibilité, sans filtre, et si elle avait pu ressentir ainsi avant, sans doute n’aurait-elle pas commis les crimes qu’elle a commis. Elle aurait pu être touchée par des êtres humains réels plutôt que par des personnages.
Malgré ce que l’on peut croire, Hanna a véritablement réfléchi à ses crimes, mais elle sait que les regrets ne feront pas revenir les morts. C’est pour cela qu’elle lègue son argent à l’une des rescapées de la longue marche de la mort qu’elle avait supervisée. Elle sait que ses actes sont irrécupérables. Mais avant de se suicider, peut-être a-t-elle l’espoir que l’argent, quelque part, aidera, comme elle n’a su aider à cette époque de sa vie.
Il n’y a d’ailleurs pas que Hanna qui apprend de ses erreurs : le héros également apprend, il apprend grâce à elle que tant qu’il se coupera des autres il ne pourra que souffrir. En ce sens, la mort de Hanna, bien que terrible pour lui, lui montre qu’il doit aller vers ceux qu’il aime et s’ouvrir à eux, avant de les perdre. Le temps perdu ne se rattrape pas.
Le pardon est difficile à obtenir. Peut-être ne sera-t-il jamais donné. Mais pour qu’il le soit, il faut que les responsabilités soient assumées. C’est en ceci que Hanna s’est libérée de ses crimes. Et que Michaël s’est libéré du fardeau des murs qu’il s’imposait.

Numéro 9 et l’humanité

Numéro 9 est un magnifique dessin animé, un conte de fées moderne et futuriste, emprunt de beauté et de poésie. On y reconnaît la patte de Burton, qui sait faire réfléchir avec de belles images et une apparente simplicité.
Numéro 9 est une véritable nouvelle cinématographique. Le spectateur est précipité dans l’histoire, tout s’enchaîne parfaitement et très rapidement, et les surprises ne manquent pas. Pas un seul instant le spectateur ne s’ennuie et lorsque la fin arrive, il est presque déçu que le plaisir ait été si éphémère.
Numéro 9 est bien construit et l’idée de départ est intelligente et originale. L’émotion est toujours justement placée et justement dosée. Pas de mièvrerie insipide.
Si certains veulent reprocher à numéro 9 ce qu’ils appellent des clichés, c’est qu’ils n’ont pas soigneusement regardé le film. Numéro 9 use de certaines idées répandues en science-fiction, notamment la révolte des machines contre les humains, mais il va bien au-delà. Numéro 9 pose des questions et s’interroge. Son vrai sujet est la nature humaine, même s’il n’y a plus d’humains après la rébellion des machines.
Les machines sont ce qu’elles sont car elles ont été créées ainsi. Comment pourrait-on reprocher à un objet d’être ce qu’il est alors que son concepteur l’a conçu dans un but particulier? Les machines ont été créées pour faire la guerre. On ne leur a pas appris à ressentir, loin de là, on leur a juste montré ce qu’était la haine. Elles n’ont de représentation des humains que celle de la destruction. Qu’elles se rebellent et détruisent l’humanité n’est pas surprenant. Comment pourrait-on le leur reprocher? Comment pourrait-on reprocher à une machine son absence de sentiments?
Ce que le film tente de démontrer, c’est qu’un objet ne reste qu’un objet s’il n’a pas d’âme, aussi intelligent puisse-t-il être. Les humains sont ce qu’ils sont grâce à leur âme, leur capacité à éprouver et à ressentir. Sans cette capacité, ils deviennent eux-mêmes des réceptacles vides. La notion du bien et du mal n’est valable que lorsque l’on possède une âme. Ceci étant, comment une machine pourrait-elle être tenue pour responsable de ne pas distinguer le bien du mal? Surtout lorsqu’elle a été programmée pour éradiquer la vie et que sa seule notion de référence est la destruction? Comment aimer des êtres qui se détruisent entre eux alors qu’ils sont de la même espèce?
C’est en cela que numéro 9 va plus loin qu’une banale histoire de révolte de machines cherchant à détruire la vie. C’est une réflexion sur l’humanité et ce qui caractérise l’humain. Bien que programmable, un humain peut toujours se révolter, réfléchir par lui-même et agir pour le bien, suivant ses sentiments personnels. La machine est programmée et, même avec la meilleure intelligence du monde, si on ne lui apprend pas à ressentir elle ne ressentira pas. Et c’est pour cela que la machine cherche à détruire toute vie organique. Elle a été programmée à un moment pour ce faire et elle continuera sa mission jusqu’au bout.
Numéro 9 est une belle histoire, qui, au-delà de l’action, des rebondissements et de la beauté des images, sait faire réfléchir à ce qui fait de nous ce que nous sommes et, quelque part, à nous mettre en garde si nous oublions nos qualités.


Six Feet Under, la fin d’une épopée

Après une saison 3 parfaitement réussie, pleine de rebondissements que l’on n’attend pas, la saison 4 est décevante. Déjà la 3 avait un peu mis en sourdine ce pour quoi la série semblait exister, le quotidien du funérarium et des êtres y arrivant pour une dernière « toilette ». Malgré cette mise de côté, la saison 3 restait dans le ton, donnant de plus en plus de place aux personnages, mais de manière intelligente. En outre, ce qui leur arrivait était toujours surprenant, avec d’excellents moments totalement inattendus et une tension bien palpable. En ceci la saison 3 est aussi bonne que les précédentes.
La 4, par contre, est affreusement décevante. Peu de réelle surprise. On finit par se lasser. Les défauts, autrefois attrayants, des héros, les rendent dans cette saison presque détestables. Alors qu’on ne pouvait s’empêcher de les aimer dans la 3, on se lasse dans la 4 de leurs sempiternels doutes et interrogations, comme s’ils cherchaient à tout prix, et contre toute raison, à se rendre malheureux. Cette saison est longue et l’ennui s’installe. On s’enlise.
La 5 est à mi-chemin entre la 3 et la 4. La série semble maintenant être totalement axée sur la vie des personnages plus que sur le funérarium lui-même. Ce dernier est devenu un arrière-plan secondaire, ce qui est vraiment dommage. Par contre, la 5 réserve quelques bonnes surprises et il y a des passages passionnants. Une saison 5 mitigée donc.
Si la saison 4 est décevante et que la 5 laisse parfois quelque peu à désirer, le final est plutôt réussi. L’épisode paraît un peu fourre-tout et trop rapide, comme s’il voulait traiter tous les problèmes des personnages avant de clore le chapitre. Il se produit à la fois trop de choses et trop peu. Certaines sont attendues, ce qui est aussi décevant. Les autres saisons étaient tellement surprenantes et originales que l’on ne peut que s’attrister de la perte de ces qualités… Mais le final est vraiment magnifique, lorsque Claire part pour vivre sa vie, lorsqu’elle part affronter et poser les premières pierres de son futur. Sur Breathe Me de Sia, cette fin est une véritable fin, profonde, pleine d’émotion, et on ne peut que s’en sentir satisfait.

Les vagabondages de García Marquez : « douze contes vagabonds »

García Marquez nous présente douze contes, vagabondages à travers l’Europe et la vie. Réalistes, parfois teintés de fantastique, comme à son habitude García Marquez sait nous perdre entre les mondes, nous donnant l’impression de flotter entre deux réalités. Son écriture est semblable à elle-même, moderne mais emprunte de poésie.

Les douze contes ne sont pas tous envoûtants ni merveilleux, mais il y en a pour tous les goûts. L’émotion est toujours présente et le lecteur, aimant ou n’aimant pas les histoires contées, en sort malgré tout touché.

La trace de ton sang dans la neige est l’un des meilleurs contes du recueil. On y retrouve tout ce qui fait le talent de cet auteur. La légèreté dissimulant le drame, les aléas de la vie entraînant les catastrophes ou les blessures les plus profondes, l’amour également, qui semble habiter chacun des mots, chacune des phrases, et qui est le fil directeur de l’histoire.

D’autres contes, telle La Sainte, sont aussi réussis dans un autre domaine. Mais qu’il s’agisse d’amour filial ou d’amour passion, il s’agit toujours d’amour.

Les contes en eux-mêmes ne sont pas tous aussi bons que ce à quoi nous a habitué García Marquez. Mais chaque histoire est unique, avec son âme et sa palette d’émotions, et il y a quelques perles qu’il serait dommage de manquer.

Parfum de glace, de Yoko Ogawa : suicide et relationnel

Parfum de glace est l’histoire d’une relation. Lorsque son compagnon se suicide, Ryoko s’aperçoit qu’elle ne savait rien de lui. Pas à pas, elle va découvrir tout ce qu’il lui avait caché, tout ce qu’il ne partageait pas avec elle, tout ce qui était lui mais qu’elle ne connaissait pas.

Ryoko ne comprend pas son geste ni ne l’a vu venir. Personne ne l’a vu venir. Ryoko voudrait comprendre, elle voudrait trouver une raison, puisque Hiroyuki n’a rien laissé derrière lui. Juste des souvenirs, des impressions, de vagues morceaux de lui, qui ne permettaient à personne de le connaître réellement. Ne faut-il pas se trouver une explication pour justifier la blessure d’un suicide?

Ryoko se plonge dans le passé pour tenter d’appréhender cet être qu’elle n’a finalement pas connu. Page après page, telle l’héroïne, le lecteur prend conscience de tout ce qu’il ignorait. La réflexion fondamentale du livre pose la question non seulement d’une relation, de notre manière de l’appréhender et de ce qu’elle est vraiment, au-delà des voiles que nous nous mettons, mais aussi de l’autre. Est-il possible de vraiment connaître cet autre qui partage notre vie? Que peut-on réellement savoir d’un autre, censé nous être proche? Où s’arrête le mensonge et où commence la vérité? La vérité n’est-elle pas différente en fonction des personnalités, des perceptions? Hiroyuki a-t-il menti en taisant son passé ou s’est-il simplement construit une autre réalité? Ne se serait-il pas offert des refuges, qui lui auraient permis de s’échapper lorsque le quotidien pesait trop sur lui?

Ryoko voudrait comprendre, mais comment comprendre un être dont l’on ne connaissait rien? Au-delà de la compréhension d’un acte, il y a surtout l’idée qu’il faut se trouver sa propre explication pour s’offrir une survie. Ryoko ne saura jamais pourquoi son ami a agi ainsi. Elle a besoin d’une réponse pour continuer son propre chemin. Le temps passant, elle se rend compte qu’il faut peut-être se détacher des interrogations et accepter les choses telles qu’elles sont pour pouvoir survivre et poursuivre sa route.

L’écriture est belle, à la fois triste et profonde, suivant les sentiments de Ryoko. Elle est emprunte de cette discrétion qui sied aux drames et au désespoir. Dès les premières pages, l’on se sent pris par l’histoire et il est facile de se laisser entraîner à la recherche du passé, sur les traces d’une improbable explication. 

Attention à la désinformation!

En ce moment, une information circule sur le net, avisant les internautes de la présence saisissante de Mars dans le ciel terrien, le 27 août prochain à minuit trente. Il y est dit également que Mars devrait nous apparaître aussi grosse que la Lune, ce qui est une aberration. Vu la distance à laquelle se situe Mars, la seule raison pour laquelle nous pourrions la voir d’aussi près serait une sortie d’orbite (et donc une catastrophe pour la Terre).

C’est en 2003 qu’eut lieu un rapprochement important, qui permettait de voir Mars à l’oeil nu. Elle apparaissait semblable à une grosse orange. Le prochain rapprochement conséquent aura lieu en 2287.

Internautes, pensez bien à vérifier vos sources avant d’envoyer un email informatif!

Millénium ou une première enquête journalistique réussie

Le premier tome de Millénium, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, de Stieg Larsson, est une bonne surprise. Pour un best seller, c’est un livre à la fois intelligent et bien écrit. L’écriture est soignée, précise et agréable, et rappelle parfois certains de nos classiques. L’histoire est dense, pleine de détails et d’informations, et le lecteur se prend au jeu de piste. Les premières pages, axées économie, peuvent paraître ennuyeuses à ceux que l’économie rebute, mais après ces passages, qui s’avèrent nécessaires pour une bonne compréhension de l’histoire, le lecteur est totalement pris par le récit. Larsson sait créer l’attente et l’intérêt. Le lecteur se met dans la peau du héros et pose ses pas dans les siens.
Mikael Blomkvist, un journaliste d’investigation économique, est descendu en flèche pour diffamation. Il perd le procès qui l’oppose à un grand industriel, ce qui met en danger sa réputation et le journal qu’il a créé, Millénium. Il décide donc de se retirer de la scène quelque temps. C’est à ce moment qu’un vieil homme, à la tête de l’entreprise Vanger, vient le chercher pour l’embaucher. Il lui demande de trouver ce qui est arrivé à sa petite nièce, Harriet, qui a disparu il y a une quarantaine d’années. Henrik Vanger pense qu’elle a été assassinée et veut savoir par quel membre de sa famille avant de mourir.
Mikael commence donc son enquête sous couvert de rédaction d’une biographie de la famille Vanger. Aidé de Lisbeth Salander, hackeuse spécialisée dans la sécurité et jeune femme quelque peu étrange, il mène l’enquête, creusant dans les secrets de famille.
Ce qui est intéressant et plutôt réussi, c’est la manière dont est menée l’enquête : une enquête policière qui se déroule sous forme journalistique. Le lecteur est très vite absorbé par l’histoire. Le suspens est soigneusement établi et entretenu. Il n’y en a jamais trop ni trop peu.
Le premier tome de Millénium s’avère très agréable à lire. On renoue avec le plaisir d’une lecture distrayante et intelligente.