Les Noces Rebelles, société et pression

Jusqu’où la pression de la société peut-elle nous entraîner?
Telle est la question, entre autres, que posent les Noces Rebelles. Le titre anglais, Revolutionary Road, parle plus que sa traduction. La route de la révolution… n’est-ce pas cette même révolution qui oppose l’être à la société? Les désirs personnels à la pression du tout?
Les Noces Rebelles prennent place dans les années 1950. Tout est conventionnel et les hommes se plient à cette convention : il faut se lever tous les matins pour un boulot que l’on trouve idiot et sans perspective, il faut avoir une maison propre et accueillir les voisins lorsque ceux-ci décident de vous rendre visite, il faut coller, en un mot, à l’étiquette du quartier. Mais que fait-on lorsque le bonheur ne dépend plus des biens matériels? Que fait-on lorsque nos aspirations nous portent ailleurs, nous mènent à voir autrement, et donc à désirer autre chose?
C’est-ce qui arrive à April Wheeler, l’héroïne du film. Franck, son époux, n’est pas beaucoup plus heureux qu’elle. Il se plie à ce que la société attend de lui. Il étouffe sous le quotidien tandis que ses rêves s’étiolent. C’est April qui les ravive, qui fait renaître en lui l’idée d’une autre vie – pas spécialement plus facile, non, mais moins vide de sens. Une vie où quelques sacrifices mènent à la satisfaction totale – au bonheur.
D’ailleurs, lorsqu’ils rencontrent le fils soi-disant « dérangé » de l’une de leurs voisines, c’est lui qui semble le plus à même de les comprendre. Leur entourage, leurs voisins, leur pseudo amis, ne comprennent pas que l’on puisse rêver d’autre chose. Ils ne comprennent pas, en définitive, que l’on puisse rêver et penser autrement que cette manière formatée de penser que leur impose la société. Sont-ils plus heureux, ces voisins? Non, ils ne le sont pas. Mais peut-être ne savent-ils pas qu’une autre vie existe. Leur réaction est sans appel : lorsque Franck et April leur annoncent leur départ pour Paris, autrement dit pour un renouveau, ils ont peine à sourire. Ils demeurent sur leur réserve, considérant ce départ comme une folie. Projet ô combien immature à leurs yeux! O combien irréaliste! Comme si devenir adulte signifiait renoncer à son droit de vivre comme on le souhaite.
La société s’impose à eux : il faut être heureux au milieu de son petit pavillon de banlieue. Le quotidien s’impose lui aussi. A-t-on encore le droit d’avoir le choix?
Car c’est à cela que le film se résume: a-t-on le droit de choisir? Et la réponse est oui, mais encore faut-il en avoir le courage et la force. Encore faut-il avoir la force de faire face au monde. Et, lorsque l’on est marié, il faut avoir l’appui de son conjoint.
Lorsqu’une opportunité alléchante se présente à Franck, il renonce. Le matériel a repris le pas sur les désirs. Si Franck peut se contenter de ce qu’il a, ce n’est pas le cas d’April : elle est prisonnière d’une vie à laquelle elle n’a jamais aspiré. Elle voudrait s’évader mais son dernier espoir de le faire s’envole avec le nouveau poste de Franck et ce troisième enfant qui se développe en son sein. La réalité la broie. Elle ne peut concevoir de vivre cette même vie sempiternellement. Elle décide de prendre la seule porte de sortie qui lui reste encore. La banalité du quotidien a raison de leur couple.
En d’autres temps, si sa force avait été autre, peut-être aurait-elle pu choisir une autre voie. Mais les choix ne sont pas forcément ceux que l’on croit et pour les faire, il faut parfois plus de force qu’un être n’en possède. C’est-ce que suggère John, le « fou » : peut-être en définitive n’a-t-on que ce que l’on mérite, si l’on n’a pas la force de se rebeller. De se « révolutionner », en somme.
Les Noces Rebelles soulignent un autre fait d’importance : on ne vit pas sa vie seul. On la vit avec le regard des voisins, des relations, des connaissances. La pression de l’entourage prend alors tout son sens. C’est ainsi que l’on finit par vivre une autre vie que la sienne. Les voisins, loin de se réjouir du départ des époux Wheeler, le critique, soulignant son improbabilité et sa folie. Les gens ne sont jamais satisfaits de vos réussites ni de vos bonheurs. Plutôt que de soutenir et d’encourager les Wheeler, ils se montrent sceptiques, peu enclins à les supporter. Comme si le bonheur des autres était trop difficile à accepter, à voir, à encaisser. Car, après tout, cette possible fuite ne leur renvoie-t-elle pas à la figure ce qu’est leur propre existence? Et la blessure ne sera-t-elle pas irréparable si les Wheeler réalisent vraiment leur projet?
C’est là que le « fou » intervient encore: c’est le seul à comprendre leur démarche et à leur dire qu’ils ont raison de tenter leur rêve, comme s’il était le seul à accepter que le bonheur soit possible pour les autres à défaut de l’être pour lui. Faut-il être différent pour envisager d’autres angles de vue? Faut-il être différent pour connaître la valeur de l’existence? Peut-être faut-il en effet être mis au ban de la société pour se moquer enfin de ce que pensent les autres.
La société a raison de ses membres : elle parvient toujours à les remettre dans le cadre qui fait d’elle ce qu’elle est. April en est la victime.