Tarzan est arrivé au quai Branly

Tarzan débarque au quai Branly! Et, il faut bien le dire, ce n’est pas une réussite.
Le quai prétend vouloir établir un dialogue entre les cultures. Bien présentée, l’exposition aurait pu en effet en être le prétexte. Le problème, c’est que jamais le dialogue ne s’établit. Seule une œuvre nous est ici présentée, une œuvre et un auteur. Des planches de BD par milliers, des figurines, des jouets, des animaux empaillés, et même des publicités pour de grandes marques (n’oublions pas, nous sommes dans un musée d’anthropologie!)… On s’attendait à un peu plus de présence africaine. En voyant ces animaux et ce sujet, on se demande si le musée hésite entre se déguiser en muséum d’histoire naturelle ou se transformer en festival de la BD.
Le titre de l’exposition n’est-il pas « Tarzan, Rousseau chez les Waziri »? N’aurait-il donc pas été bon de consacrer un panneau à Rousseau, puisqu’on lui fait l’affront de le citer? N’aurait-il pas été intéressant de développer le concept du « bon sauvage » et d’expliquer ce qu’il cache? Rousseau aurait mérité un peu plus qu’être un prétexte pour attirer du monde, un monde qui sera bien déçu de ne pas l’y voir. Et même si le but de l’exposition n’est pas de discuter de Rousseau ni du concept du bon sauvage, il est néanmoins de mettre en relation des cultures, « de faire dialoguer les cultures » comme se plaît à le répéter le président du musée. Malheureusement aucune mise en relation n’est faite. L’Afrique apparaît toujours à travers un regard, celui de l’Occident. Et s’il s’agissait de souligner les présupposés que les gens avaient à son égard et qui sont toujours véhiculés par Tarzan, alors le quai ne répond pas à cette problématique. Il se contente de jouer avec l’imagerie populaire, en présentant l’œuvre de Burroughs, d’autres œuvres du même genre de la même époque, et tout ce qui pouvait s’y rattacher. On ne voit pas toujours les raisons de figurer de certains objets, si ce n’est une manipulation des idées pour les introduire et faire du remplissage. Quelle est la  raison de la présence, par exemple, du livre L’art de nager le crawl? Si ce n’est que l’un des acteurs interprétant Tarzan fut champion de natation? N’est-ce pas un prétexte pour présenter un ouvrage qui n’a rien à faire dans cette exposition? Ne se trouve-t-on pas un peu loin de l’Afrique et du dialogue qui devait s’établir avec elle?
L’Afrique n’occupe d’ailleurs qu’une toute petite partie de l’exposition. Quelques tuniques, lances, javelots, boucliers, sans réellement d’explications. Quelques statuettes Aniotas, qui seraient l’apanage de sociétés secrètes très redoutées. Nous voici face à un fait de société intéressant. Seul un panneau explicatif lui est consacré. On glisse dessus et aussitôt on repart dans le mythe tarzanique, comme s’il n’y avait pas grand-chose à dire de plus sur les sociétés africaines.
L’Afrique est aussi évoquée par deux costumes d’Africain du film Astérix aux jeux Olympiques : n’existe-t-il pas de véritables « costumes » africains qui pourraient être présentés au public afin de «faire dialoguer les cultures »? Comment peuvent-elles dialoguer lorsque l’on reste coincé dans l’imagerie populaire? S’il est intéressant de présenter cette dernière, il faut aussi lui faire affronter la réalité, la confronter, expliquer enfin. Mais ici il n’y a pas d’explications, que des présentations, que des mises « en oeil ».
Après l’Afrique, Tarzan a rencontré nombre d’autres civilisations : Tarzan a été chez les Romains, chez les Vikings, etc. A part des planches de BD et un ou deux tableaux classiques, aucune explication non plus sur ces cultures, toujours pas de mise en relation, ni de confrontation, ni de perspective. La question ne cesse de s’imposer à l’esprit : où est le dialogue des cultures cher au président du musée? Quel est donc le but de cette exposition, faire plaisir à son commissaire?
Stéphane Martin, le président du musée, explique : « A l’heure de la mondialisation, en ouvrant les portes du musée à Tarzan, nous donnons à chaque visiteur l’occasion de réfléchir sur tout ce matériau culturel et intellectuel qu’il porte en lui ». Vraiment? N’est-il pas possible de réfléchir à ces concepts avec des sources un peu plus ethnologiques que Tarzan?
Et d’ajouter : « Un grand musée moderne comme le nôtre n’est pas là pour donner une leçon magistrale ni renforcer des certitudes en montrant ce qu’on peut voir ailleurs ». Le musée ferait peut-être justement bien de regarder un peu ce qui se fait ailleurs et d’en tirer leçon. Il pourrait s’inspirer, par exemple, du musée Dapper qui réalise de merveilleuses expositions sur des thèmes toujours bien présentés et qui savent aussi se faire originaux. Avec cette exposition, le quai ne défait pas les idées obscures et naïves de la culture populaire, comme il les dénomme, il ne fait que les montrer et ne les discute pas.
Le président s’entête à répéter que « [l]a grande question du quai Branly, c’est le dialogue avec les cultures. On interagit constamment avec le visiteur, ses goûts, ses présupposés ». Mais où est le dialogue? Il ne s’agit pas ici d’un dialogue, puisque l’Afrique n’a pas son mot à dire, mais bien plus d’un monologue égocentrique. L’Occident joue avec ses images populaires sans se demander ce qu’il peut y avoir derrière les apparences. Les présupposés du visiteur ne sont aucunement questionnés, ils sont plutôt vaguement montrés ou, pire, renforcés. Nous avons bien compris que Burroughs était plus intéressé par se construire son Afrique personnelle plutôt que de décrire la réalité. En quoi est-ce une problématique ethnologique? Surtout, n’est-ce pas prétentieux de se pencher sur une problématique aussi égocentrée en prétextant faire dialoguer les cultures? Le quai veut faire croire qu’il s’ouvre mais il ne fait que se limiter à un point de vue, encore une fois, très blanc et très occidental. Lorsque la culture de masse aura étouffé toutes les autres cultures, le quai oubliera donc ce sur quoi il s’est construit? Les expositions d’avenir ne sont-elles que musique, BD, figurines plastique de collections privées? Est-il si impossible que cela de créer une exposition sur un sujet moins connu et de le rendre attrayant au grand public? Faut-il automatiquement en passer par Tarzan pour faire venir la foule au quai Branly?
A part deux ou trois lignes qui paraissent effectivement faire surgir les « présupposés », mais qui hélas s’arrêtent bien vite et jamais ne les discutent, le but véritable de l’exposition est bien oublié.
L’exposition Tarzan, dans le cadre d’une présentation du comic du même nom, est bien réalisée et aurait tout à fait sa place à un festival de BD comme celui d’Angoulême. Mais elle ne l’a pas au quai, ni dans le cadre d’un « dialogue des cultures » ni dans celui d’un musée axé sur l’ethnologie et les civilisations premières.
Ce choix de sujet est bien regrettable car le musée du quai Branly demeure un musée intéressant.

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